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Dans vos kiosques en 1952

LES PERIODIQUES :

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Dans son premier éditorial titré "Pourquoi nous combattrons", une petite revue lyonnaise fondée par Bernard Chardère s'est placée, en mai dernier, dans le sillage de ses "aînées", les Cahiers du Cinéma et Raccords (qui a malheureusement cessé son activité). Positif, c'est son nom, est parvenue, malgré une santé apparemment fragile, à proposer cinq numéros dans l'année. Le champ balayé est relativement vaste : une bonne place est laissée aux critiques mais on y parle aussi musique ou affiches de films, cinéma ibérique ou soviétique, acteurs (Groucho Marx) et actrices (Marlene Dietrich). A l'occasion, des signatures d'horizons divers peuvent apparaître, comme celles de Georges Sadoul, de Jacques Doniol-Valcroze ou d'Henri Agel. L'éventail des goûts est donc large puisque l'on y trouve des éloges de L'Auberge rouge (Autant-Lara), des Olvidados et de La montée au ciel (Buñuel), d'Orphée (Cocteau), du Fleuve (Renoir), de Rashomon (Kurosawa), de La Grande Vie (Schneider) et de Deux sous d'espoir (Castellani). Toutefois, Miracle à Milan (De Sica) et Christ interdit (Malaparte) ont reçu un accueil beaucoup plus réservé, tandis que Julien Duvivier ne semble vraiment pas être en odeur de sainteté, d'abord opposé par Jean-Paul Marquet au grand Jean Vigo puis longuement moqué pour son Don Camillo. Bernard Chardère a publié, sur trois numéros, une étude sur Robert Bresson et Giuseppe De Santis et Marc Donskoï ont fait l'objet de textes. Mais, côté réalisateurs, c'est surtout vers John Huston que la revue a braqué ses projecteurs : le consistant  numéro 3 lui est presque entièrement consacré. C'est déjà avec confiance que, pour Positif, nous attendons la suite... (un spécial Jean Vigo est, paraît-il, annoncé).

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Aux Cahiers du Cinéma, le rythme de croisière mensuel est pris et les positions s'affirment. Deux œuvres ont été particulièrement mises en avant cette année par la revue : Deux sous d'espoir de Castellani et Les Feux de la rampe de Chaplin (avec notamment douze pages de témoignages et critiques en novembre). L'autre "phare" aura bien sûr été Jean Renoir, qui après la sortie du Fleuve, à eu droit à un copieux ensemble (avec des études complémentaires d'André Bazin et de Maurice Schére, sur le Renoir "français" et le Renoir "américain"). Le souci des Cahiers reste de soutenir "l'avant-garde" du cinéma, que celle-ci soit représentée par Hans Richter, Kenneth Anger, Curtis Harrington, ou bien Renoir, Huston, Ford, Bresson, Buñuel... Au fil des numéros de 1952, nous avons pu lire des textes sur René Clair, Billy Wilder, John Huston, Orson Welles, Stroheim, Murnau, Jiri Trnka, Gene Kelly, Stanley Kramer, ainsi que sur l'adaptation littéraire, le western, la censure, le Kammerspielfilm (par Lotte Eisner). Un hommage a été rendu à Jean-George Auriol et des textes d'Eisenstein (sur Le Cuirassé Potemkine) et de Norman McLaren ont été portés à notre connaissance. Les festivals de Cannes et de Venise ont été largement couverts par la revue, qui a également proposé une grande enquête sur la critique. Des articles favorables ont accompagné les sorties de Rashomon (Kurosawa), de Quatorze heures (Hathaway), du Commando de la mort (Milestone), d'Une Place au soleil (Stevens), du Gouffre aux chimères (Wilder), de Teresa et du Train sifflera trois fois (Zinnemann), de Fanfan la Tulipe (Christian-Jaque), du Jour où la terre s'arrêta (Wise), de Casque d'or (Becker, qualifié cependant de "faux chef-d'œuvre"), de Jeux interdits (Clément), d'Un Américain à Paris (Minnelli), de L'Affaire Cicéron et d'On murmure dans la ville (Mankiewicz), de Colonel Blimp (Powell), d'Othello (Welles), de L'Homme tranquille (Ford), d'Umberto D. (De Sica), des Belles de nuit (Clair), des Conquérants solitaires (Vermorel), de La Putain respectueuse (Pagliero et Brabant) et de La Vie d'Emile Zola (Dieterle). A plusieurs reprises, l'humour anglais a été prisé (Rires au Paradis, De l'or en barre, L'Homme au complet blanc, Le Major galopant, Le Canard atomique) mais le temps a fini par venir de son "enterrement" (par Gilbert Salachas à propos de Trois dames et un as). D'ailleurs, nous aurons noté la tendance à une sévérité accrue, Bazin s'insurgeant contre la pratique du remake (M Le Maudit de Losey) ou jouant, à notre grand étonnement, Trois femmes d'André Michel contre Le Plaisir de Max Ophuls, Doniol-Valcroze repoussant Carol Reed et Le Banni des îles, d'autres encore critiquant fortement La Poison de Guitry, La Terre tremble de Visconti, La Vérité sur Bébé Donge de Decoin ou Histoire de détective de Wyler. Dans ce registre polémique, s'attaquant au cinéma français "de qualité", Michel Dorsday a publié un article marquant, qui devrait avoir des suites... comme devrait continuer la bataille, à l'intérieur comme à l'extérieur de la revue, autour d'Alfred Hitchcock (voir plus bas).

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Toujours de façon (plus ou moins) mensuelle, Image et son a poursuivi sa mue, proposant de multiples fiches filmographiques, des panoramas historiques des cinématographies françaises (par Jean Mitry), danoises, allemandes américaines ou soviétiques, des textes sur l'enseignement du cinéma, sur le langage cinématographique (par Barthélemy Amengual), sur Walt Disney, René Clair, Cesare Zavattini, Fernandel, Marcel Carné ou René Clément.
Au printemps, a paru le numéro 6 de L'Age du Cinéma, consacré au documentaire expérimental et au films d'avant-garde et dans lequel Adonis Kyrou et Robert Benayoun ont pu notamment placer des textes d'Alberto Cavalcanti, d'Hans Richter, de Lotte Eisner, de Brunius ou de Curtis Harrington. Ce fut malheureusement un baroud d'honneur, un ultime numéro pour cette revue "surréaliste". Souhaitons que ses créateurs trouvent prochainement une nouvelle tribune.
De même, l'hebdomadaire L'Ecran Français n'est plus depuis mars et son numéro 348 qui arborait le visage de Gérard Philipe en Fanfan la Tulipe.

(Edouard S.)

 

LES TEXTES CRITIQUES :

"Le cinéma est mort"
(sur Adorables créatures de Christian-Jaque)
par Michel Dorsday dans les Cahiers du Cinéma n°16, octobre 1952

Extraits :

"Le cinéma français est mort, mort sous la qualité, l'impeccable, le parfait-parfait comme ces grands magasins américains où tout est propre, beau, bien en ordre, sans bavures. Si l'on excepte les inévitables vaudevilles et drames pour l'arrière province, on ne fait plus en France que de bons films, fabriqués, léchés, présentés avec élégance. Et c'est là le désastre. Nous nous calons dans nos fauteuils, nous passons d'excellentes soirées, les femmes sur l'écran ou dans la salle peuvent bien être charmantes ou tapageuses, nous sommes charmés, ravis, engraissés, repus, contents, nous applaudissons à tout rompre, nous félicitons les grands faiseurs avec des mines réjouies de satisfaction, le public, la critique ont les trompettes du triomphe. Dans les festivals, l'on nous donne des prix. On dit la qualité française. Et nous ne pensons plus. Voilà le résultat acquis après un conscient labeur par nos hommes de talent. Jacques Becker, Julien Duvivier, Jean Delannoy, Christian-Jaque (pour ne prendre que les plus cotés) ont mille talents : ils aiment les beaux sujets, ils les animent avec raffinement, et si, par hasard, il y avait autres choses à tirer, le raffinement tue ces choses.
(...) C'est le propre de tous les moments d'annoncer l'apocalypse. J'ai tout à l'heure dit que le cinéma français était mort, espérant une réponse différente. Et pourtant... Je sais bien que ceux dont j'ai parlé ne sont pas les seuls. D'Henri-Georges Clouzot à René Clément, de Decoin à Bresson, de Daquin à Allégret, il y a des lumières possibles et je ne dis pas le contraire, mais ils seront de plus en plus isolés. Le cinéma français est mort car son climat est autour des Christian-Jaque, son efficacité autour de ces faiseurs, parce que vingt années d'éducation au spectateur ont porté leurs fruits, le spectateur ne tolère plus les inepties, mais il est toujours aussi inerte dans sa masse devant le génie, qui ne peut se manifester dans notre société que par bombe (Le Diable au corps) et son éducation à demi le rejette vers le brillant, vers l'aimable, comme ces jeunes filles qui aiment Meyerbeer parce qu'on leur a appris à pianoter, mais qui ne peuvent comprendre Debussy ou Ravel, et encore moins par surcroît Schönberg et Olivier Massiaen.
(...) Le cinéma français est mort, mais il est caractéristique que le seul qui puisse nous apporter une œuvre déjà forte et déjà admirable, d'un style qui n'appartient qu'à lui soit d'ici et de là, de partout et de toujours, homme seul qui marche dans la ville, qui travaille où il est libre, qui rêve où il peut rêver, dont les thèmes sont bien marqués et pourtant aussi de partout et de toujours, que ce soit dans les ruines, sur les reflets du canal trouble ou sur le visage de la superbe putain et du noir traqué, Marcello Pagliero. Et ce sera notre espérance."

 

"De l'honnêteté : Los Olvidados de Luis Buñuel"
par Bernard Chardère dans Positif n°1, mai 1952

Premières lignes :

"Après sept ans de vie de famille, d'historiographie officelle - et échappant au danger de la pièce de patronage - Racine donne une réplique à Phèdre avec Athalie.
Après dix-huit ans consacrés à tourner des films de série, l'auteur du
Chien Andalou (1928) et de L'Âge d'or (1930) donne un pendant à Las Hurdes (1932) avec un chef d'œuvre plus accompli et pour ainsi dire parfait : Los Olvidados (1950).
Buñuel n'a même pas eu
, tel Bresson entre les Dames (44) et le Journal (50), le silence et le calme pour méditer, pour créer. Et malgré le succès des Olvidados (tournés en quatre semaines, on le sait, avec très peu d'argent - d'où l'obligation, par exemple, de remplacer un extérieur ou même un décor par une toile peinte) loin d'avoir maintenant les mains libres, Buñuel a dû se remettre, parait-il, aux productions commerciales...
Dans cette lutte incessante contre le Dollar, on a vu Stroheim, Welles et d'autres (quelles difficultés n'a pas rencontrées Chaplin) succomber. Si Buñuel a gardé intact son besoin de témoigner vigoureusement, on peut supposer que maints efforts pour le faire ont été longtemps tenus en échec par des puissances matérielles (financières et idéologiques), plus fortes qu'une volonté d'artiste : et voilà qui suffirait à justifier, ne disons pas le pessimisme - Los Olvidados n'est pas pessimiste, nous l'allons voir, puisqu'il marque une certaine confiance en l'homme - mais le manque d'optimisme annoncé en prologue."

Dernières lignes :

"Sans moralisme ni didactisme, s'appliquant avant tout à une tragédie sur un sujet de notre temps, Buñuel nous donne aussi - pour reprendre un titre d'Eluard - une leçon de morale.
Nous saurons désormais que ces actions accomplies alors qu'il n'est pas possible, qu'on n'est pas
libre de faire autrement, nul n'a le droit de les condamner, mais bien, s'il ne peut les supporter (et il ne faut pas les supporter) le devoir de travailler à les supprimer.
Quand maintenant nous penserons "cinéma", nous aurons à l'esprit Los Olvidados, chef d'œuvre sans faille ; cette scène par exemple entre Jaïbo et la mère de Pedro qui intègre musique et théâtre, dose le silence et la parole, montre enfin comment le cinéma peut être plus qu'un art autonome : le couronnement de tous les arts. Et davantage, lorsque désormais nous dirons : un honnête homme, nous pourrons penser à Luis Buñuel."

 

Aussi dans les Cahiers du Cinéma :

"Renoir français" par André Bazin, n°8, janvier 1952
"Marcel Pagliero ou le malentendu" par Robert Pilati, n°9, février 1952
"Le ghetto concentrationnaire" sur Ghetto Terezin par André Bazin, n°9, février 1952
"Trilogie mystique de Dreyer" par Lo Duca, n°9, février 1952
"Suprématie du sujet" sur L'Inconnu du Nord-Express par Hans Lucas, n°10, mars 1952
"Fausse monnaie" sur Duel avec la mort par Jacques Nobecourt, n°10, mars 1952
"Le roman d'un tricheur" sur Le Gouffre aux chimères par Lo Duca, n°11, avril 1952
"Le soupçon" sur Une Femme disparaît par Maurice Schérer, n°12, mai 1952
"Gene Kelly, auteur de films et homme-orchestre" par Jean Mysrine, n°14, juillet-août 1952
"Personne ne gagne" sur L'Affaire Cicéron par Robert Pilati, n°14, juillet-août 1952
"Défense et illustration du découpage classique" par Hans Lucas, n°15, septembre 1952
"Un homme marche dans la trahison" sur Le Train sifflera trois fois par Jacques Doniol-Valcroze, n°16, octobre 1952
"Si Charlot ne meure" sur Les Feux de la rampe par André Bazin, n°17, novembre 1952
"Néo-réalisme et phénoménologie" par Amédée Ayfre, n°17, novembre 1952
"Paix et tradition" sur L'Homme tranquille par Jacques Doniol-Valcroze, n°17, novembre 1952
"Le feu et la glace" sur F.W. Murnau et l'expressionnisme par Alexandre Astruc, n°18, décembre 1952
"Fleurs et couronnes" sur Trois dames et un as par Gilbert Salachas, n°18, décembre 1952

Aussi dans Positif :

"Sincérité et double jeu : d'un Duvivier à Jean Vigo" par Jean-Paul Marquet, n°2, juin 1952
"Le bateau de Sisyphe" sur African Queen par Jacques Demeure et Michel Subiela, n°3, été 1952
"Et qui rira, verra" sur Le Trésor de la sierra Madre par Michel Subiela, n°3, été 1952
"Un homme dont l'œuvre sonne fier... Marc Donskoï" par André Desvallées, n°5, décembre 1952

 

LA POLEMIQUE :

Alfred Hitchcock dans les Cahiers du Cinéma :

"Il est probable que le dernier film de Hitchcock suscitera des querelles. Un critique dira qu'il est indigne de l'auteur des 39 marches ou même de L'Ombre d'un doute, l'autre le trouvera à peine plaisant et louera de ses qualités jusqu'à ce qu'elles empruntent parfois de fausse modestie. mais ceux qui ont pour Alfred Hitchcock, pour Blackmail autant que pour Notorious, une grande et continuelle admiration, ceux qui trouvent chez ce metteur en scène tout le talent que demande le bon cinéma, ceux-là se comptent sur les doigts de la main. Décrié outrageusement par les uns tandis que les autres font la moue, en quoi donc Alfred Hitchcock mérite-t-il de nous intéresser ? (...) Maintenant, que certains critiques, ayant vu Strangers on a train, refusent leur admiration à Hitchcock pour la mieux porter à The River, à ceux-là mêmes qui critiquèrent si fort et si longtemps Jean Renoir demeurer en Hollywood, puisqu'ils éprouvent un goût si vif pour la parodie, je demanderai : ces étrangers dans un train, n'est-ce pas eux-mêmes dans la pratique de leur devoir." (Hans Lucas, "Suprématie du sujet" sur L'Inconnu du Nord-Express, n°10, mars 1952)

"Car il se pose une autre question, un autre problème, celui du contenu même des films. Je vois bien, naturellement, ce que cache l'éloge outrancier, sympathiquement hypocrite ou juvénilement paradoxal, de la manière récente de Hitchcock par l'école Schérer, éloges qui n'ont contre eux que leur légère abondance - et je ne me laisse pas du tout aller à la tentation de confondre sujet et contenu. Je n'aime ni la musique à programme, ni la peinture à sujet, précisément dans la mesure où le programme tue la musique, et le sujet, la peinture." (Pierre Kast, "Fiançailles avec le notaire - Notes sur Conrad et le cinéma", n°12, mai 1952)

"Non, Hitchcock n'est pas seulement un habile technicien - et au nom de quoi ériger la maladresse en vertu ? - mais un des plus originaux et profonds auteurs de toute l'histoire du cinéma. D'autres ont choisi d'autres voies, celles des demi-teintes et de la vraisemblance. Mais si le goût de l'extraordinaire n'est pas la garantie du génie, faut-il en conclure qu'il soit avec lui incompatible ? J'irai plus loin : c'est l'invraisemblance même de la donnée qui donne aux détails de la facture cet accent de vérité qui, en Hitchcock, à tout moment me délècte. Je sais qu'il est des cinéastes qui se proclament plus tapageusement attentifs aux petites choses, au réalisme de temps et de lieu, et pourtant, pour ne prendre qu'un exemple, qui d'entre eux se flatteraient d'avoir rendu avec plus d'exactitude le sentiment de l'heure que dans cet admirable passage de La Corde où, dans le brouhaha de la conversation qui languit la lumière bleutée du jour finissant, s'estompe sous le faisceau jaune de la lampe tout d'un coup allumée ?" (Maurice Schérer, "Le soupçon" sur Une Femme disparaît, n°12, mai 1952)

"Il y a vingt ans, pour soutenir la comparaison avec Vigo, Renoir ou Clair, nous ne pouvions pratiquement citer que deux réalisateurs doués mais mineurs, Asquith et Hitchcock, dont on ne peut en aucune façon prétendre qu'ils aient créés une école. Leurs films - pour Asquith, sa comédie satirique : Shooting stars, sa charmante amourette Edouardienne : Dance Pretty Lady, son récit de la campagne de Gallipoli : Tell England, et pour Hitchcock ses meilleurs mélodrames policiers comme Sabotage et The Man who knew too much étaient pleins d'invention et d'intelligence. Mais ces réalisateurs n'avaient ni sens des valeurs, ni humanité réelle et c'est peut-être pour cela que leurs talents tournèrent court. Hitchcock a tourné aux Etats-Unis des films divertissants mais qui ne marquent aucun progrès sur ses premières réalisations ; Asquith a apparemment abandonné toute recherche de l'originalité et se contente de discrètes adaptations de pièces de théâtre. Ils poursuivent leur chemin dans le vide, un vide dont ils ne sortent que rarement ; cette sorte de destin est hélas ! le fait de nombreux réalisateurs anglais." (Gavin Lambert, "Lettre de Londres", n°14, juillet-août 1952)

"Ces films ont un autre intérêt. Ils se situent au terme de la carrière muette d'Hitchcock. Ils permettent donc de faire le point. La sûreté de ton, les trouvailles du récit, la richesse de syntaxe montrent qu'Hitchcock est devenu maître de son art. Il ne fera que transposer ou adapter au parlant cette virtuosité exemplaire, et l'enrichir des possibilités offertes par l'image-son. (...) Hitchcock cultivera son sens de l'ellipse, qui deviendra l'une des constantes raffinées de son œuvre. La direction des interprètes tendra vers une stylisation presque unique dans l'histoire du cinéma. Mais nous avancerons qu'elle était déjà presque parfaite en 1928. Et Hollywood, troisième étape après Munich Elstree, fera d'Hitchcock davantage qu'un metteur en scène : un véritable auteur de films." (Raymond Borde et Etienne Chaumeton, "Flash-back sur Hitchcock", sur The Ring et Champagne, n°17, novembre 1952)

 

COMPLEMENTS DE LECTURE :

1) "L'invention de la baignade avec Suédoises" sur Elle n'a dansé qu'un seul été par Philippe D'Hugues, Le Figaro

2) Sur L'Homme tranquille :

- "John Ford's festive comedy : Ireland imagined in The Quiet man" par William C. Dowling (en anglais)

- Extrait de About John Ford de Lindsay Anderson (1980, édition française Hatier 1985) :

"Nous savons tous qu'Inisfree n'existe pas sur la carte d’Irlande. The quiet man est censé être un film contemporain, mais si quelques détails rapidement entrevus, un téléphone ou une bicyclette, le relient à ce siècle, même la voiture de l'évêque a un air d'avant 1914. Ce film est traité comme un conte de fée et les personnages farfelus qui peuplent cette fable ne doivent pas être plus critiqués pour toutes leurs outrances que ne doit l'être la description trop idyllique d'une Irlande verte et fertile. Ce film au rythme modéré, si riche dans ses détails humoristiques, si impudent dans ses digressions, montre plus qu'aucun autre l'insouciance et la maturité que l'art de Ford a acquit avec le temps."

3) Extrait de Anthony Mann de Jean Claude Missiaen (Editions universitaires, 1964) :

"Dans la lignée du Convoi des braves, la valeur historique des Affameurs se confond avec celle de la déjà lointaine Caravane vers l'Ouest de James Cruze. Sans efforts apparents la caméra d'Anthony Mann s'attache à la longue file de chariots, la traque sous les angles le plus variés et finit, par en épouser les contours et le rythme, captant un peu de cette poussière de l'Ouest dont la découverte, sous les sabots ferrés des chevaux transporta naguère Jean Cocteau."

4) Extraits sur Belles de nuit :

- "La bêtise n'est pas le fort de René Clair, peut être même est-il le plus intelligent des metteurs en scène, du moins dans cette acceptation un peu restrictive du mot qui définit surtout la lucidité. Il n'y a plus qu'à tirer l'échelle de soie. Poésie, invention, fantaisie, éblouissante maîtrise, et ce goût si rare. Je ne prendrai qu'un exemple. Quand la première belle est au piano devant Claude, une ombre courbe en forme de violon ou d'épaule emplit l'écran, glisse jusqu'au lit du dormeur." (Yves Florenne, Le Monde, 16 septembre 1952)

- "Ennemi d'un réalisme naïvement copié de la vie, Clair répugne tout autant à un onirisme qui prétendrait figurer le rêve. Complexe, Belles de nuit ressemble à son auteur." (Olivier Barrot, René Clair ou le temps mesuré, Hatier, 1985)

- "Malheureusement La Beauté du Diable fut suivi par Les Belles de nuit et là, l'échec est d'autant plus grave que René Clair a essayé de retrouver René Clair sans jamais y réussir. Il y a assurément quelque chose d'infiniment triste dans cette quête de fantômes. Corneille vieillissant cherchait il à retrouver Chimène ? Mais René Clair vieillit mal. Ce qu'il y avait d'un peu sec en lui s'accuse, ce qu'il y avait d'amusant  devient de l'ingéniosité. Il cherche René Clair mais il fait un pastiche de René Clair. Il cherche Le Million mais n'en trouve que la carcasse et les fusées noircies. Il cherche la naïveté, le décor désuet, la tendresse, et il ne trouve plus que des barbouillages de tir forain. La force, l'élan poétique, la création continuelle, la richesse d'invention, l’abondance du René Clair d'autrefois, la jeunesse en un mot, l'ont abandonné. Il s'en tire pauvrement en mettant Gérard Philippe à toutes les sauces. Cela ne sauve rien. Cela n'a pas d'âme. Et cette fantaisie montre ses ficelles." (M. Bardèche et R. Brasillach, Histoire du cinéma, 1954)

5) Extrait de Hitchcock de Donald Spoto (1976, edition française Edilig 1986), à propos d'Une Femme disparaît :

"Les 39 marches et Une Femme disparaît sont encore aujourd'hui les films d'Hitchcock les plus populaires de sa période britannique. Ceux qui considèrent que ce dernier est le meilleur film de sa carrière sont, selon moi, ceux qui demandent avant tout à un film d'être un brillant divertissement. Une Femme disparaît, c'est indéniable, possède cette qualité. C'est un "thriller" comique de premier ordre, un film d'atmosphère insouciant et plein d'entrain. Adapté du roman d'Ethel Lina White, "The Wheel spins", le scénario concocté par Sidney Gilliat et Frank Launders est un délicieux soufflé qui se savoure du premier au dernier plan. l'action se passe la plupart du temps dans un train qui se dirige vers Londres en provenance, semble-t-il, d'Autriche. Le dialogue pétille d'intelligence et alterne l'humour et le paradoxe avec un sens très britannique de "l'understatement". Je ne voudrais pas que l'on croit à une condamnation si je dis que ce film manque d'épaisseur. Hitchcock sait ce qu'il fait depuis le début. On trouve en effet des signes et des repères suggérant des thèmes qui seront repris dans des œuvres plus graves tournées par la suite. Ne boudons pas notre plaisir, ce film est un pur divertissement."

6) "Criss-cross : Une analyse pas à pas de L'Inconnu du Nord Express" par Stéphane Goudet, Positif n°470, avril 2000

7) Extrait de "La mémoire et le mouvant", sur Le Plaisir, par Barthélemy Amengual, Positif n°232-233, juillet-août 1980 :

"Je tiens Le Plaisir moins peut-être pour le film ophulsien par excellence que pour le chef-d'œuvre absolu de son auteur ; je le place plus haut que Liebelei et Lettre d'une inconnue. Disant Le Plaisir j'entends, bien sûr, La Maison Tellier. Le Masque, Le Modèle, restituent Maupassant tel qu'en lui-même, avec sa science de conteur, sa noirceur méchante, son mouvement paradoxalement sec et ample, ses grimaces et ses limites. La Maison Tellier - comme la Partie de campagne filmée par Renoir - suscite un Maupassant transfiguré, exactement lui-même, et plus rayonnant, plus profond, plus juste, plus bouleversant que lui-même. L'eschatologie chrétienne doit viser quelque chose d'analogue quand elle parle de "corps glorieux"."

8) Propos d'Akira Kurosawa sur Rashomon (recueillis par Donald Richie et publiés dans Sight and Sound, été 1964, repris dans Positif n°461-462, juillet-août 1999)

"Les Japonais sont toujours terriblement critiques envers les films japonais, aussi n'est-ce pas surprenant qu'un étranger ait été responsable de l'envoi de ce film. C'est la même chose avec la sculpture japonaise sur bois : les étrangers ont été les premiers à l'apprécier. On apprécie si peu nos propres choses. En fait, Rashomon n'était pas aussi bon que ça. Quand je m'exprime ainsi, les gens me disent alors : "Vous, Japonais, vous appréciez si peu vos propres choses. Pourquoi ne vous levez-vous pas pour défendre votre film ? De quoi avez-vous peur ?" La chose qui m'a le plus surpris dans le film était le travail de l'opérateur. Kazuo Miyagawa était inquiet de savoir si c'était d'une qualité suffisante. Takashi Shimura, qui le connaissait depuis longtemps, m'a raconté ses angoisses. J'ai vu le premier jour des rushes et je savais. C'était absolument parfait."

9) Extrait de John Huston de Robert Benayoun (Seghers, 1966), à propos de La Charge victorieuse :

"Il est difficile de gloser sur le déroulement lui-même d'épisodes dont l'ordre fut altéré, tant les manques sont évidents (nous voyons une charge au lieu de trois), mais la mise en scène demeure. A travers coupures et refontes, le film garde l'impact d'un reportage mental ou d'une enquête sur le chaos. On pourrait plus facilement désorganiser au montage les batailles d'un Milestone qu'ordonner à contre-courant celles somptueusement égarées de Huston. Leurs lignes de force sont trop folles et leur lyrisme trop rageur. Surtout, elles cèdent le pas, dans les beaux moments d'accalmie (deux sentinelles ennemies se hèlent dans la nuit), à une chaude humanité, à un humour familier qu'il est ardu de pervertir."


Avis :
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