01/11/2017
Sur vos écrans en 1999
EDITORIAL :
Par le Dr. Orlof
Si loin, si proche
Nous approchons irrémédiablement de la date fatidique de 2001 et pour la dernière année de ce millénaire (même si la question a fait beaucoup couler d’encre), Stanley Kubrick est revenu nous éblouir sans vaisseaux spatiaux et épopées cosmiques. Avec Eyes wide shut, c’est à la plus intime des odyssées qu’il nous convie : celle du couple. L’usure du mariage, la volonté de séduire, la jalousie, le fantasme : tout cela est traité de manière magistrale et stylisée dans cette œuvre controversée mais qui restera, à coup sûr, comme le jalon incontournable d’une immense filmographie.
La vision du couple de Tsai Ming-Liang est encore plus désespérée. Dans The Hole, il filme la solitude de deux êtres cloitrés dans leur bulle respective (leurs appartements) et seul un trou dans le plafond offre un semblant d’espoir de « communication » et offre des échappées musicales et oniriques dans cet univers très sombre.
Est-ce vers cette issue que se dirigent les relations humaines à l’orée du 21ème siècle ? Contrairement à ce que montrait Kubrick dans 2001 (justement), certains croient encore aux vertus de la technologie à tout crin. Le revenant George Lucas débute une nouvelle trilogie se situant en amont de la première saga Star Wars. Le résultat est affligeant de médiocrité mais l’utilisation des effets-spéciaux numériques laisse peut-être augurer d’une nouvelle ère pour le cinéma de grande consommation, à l’instar du film de 1977 qui signa en quelque sorte la fin du « Nouvel Hollywood » et les débuts de l’infantilisation du grand spectacle hollywoodien.
De la même manière, les frères Wachowski utilisent le « caméra-mapping » dans Matrix et nous proposent des effets-spéciaux en images de synthèse encore jamais vus sur grand écran. Cela n’empêche pas le film d’être plutôt raté et de naviguer dans des eaux « new-age » ronflantes et casse-pieds.
Est-ce à travers ces films que se dessine un avenir entièrement assujetti à la technologie ? On parle de plus en plus d’Internet et j’ai, à titre personnel, créé cette année une adresse pour recevoir des e-mails. De la même manière, nous rigolons avec mes amis aux terrasses des cafés de tous ces individus qui ne se parlent plus mais discutent ostensiblement (et beaucoup trop fort) avec leurs téléphones portables. Nous ne céderons, bien entendu, jamais à ces gadgets auxquels nous trouvons une forte capacité de nuisance, comme lorsque nous nous retrouvons dans les transports en commun à côté d’un type qui essaye toutes les sonneries possibles de sa machine.
Le cinéma de cette année semble avoir fait un pas de côté par rapport à ce développement des télécommunications : Kaurismäki revient au muet dans le très beau Juha et Jarmusch nous rappelle que le meilleur moyen de communiquer reste… le pigeon voyageur ! Après le sublime Dead Man, le cinéaste semble revenir à la fiction et à irriguer les mythologies du cinéma de genre d’autres références culturelles. Dans Dead Man, il nous proposait une relecture du western traditionnel à l’aune du génocide indien et de la poésie de William Blake. Dans Ghost Dog, il réinvestit le thriller en s’imprégnant du cinéma japonais (des citations des films de Suzuki) et de la culture des samouraïs. Ralentir le rythme, c’est également l’attitude de David Lynch qui après son mémorable Lost Highway bifurque totalement et nous embarque dans un étrange voyage en… tondeuse dans Une histoire vraie.
A l’inverse, Cronenberg nous montre un univers où le virtuel a envahi tous les aspects de l’eXistenZ. Dans ce très beau film, le cinéaste se fait un malin plaisir d’aller à l’encontre des visions classiques et nous propose un monde virtuel très « organique ». Quand tout devient faux, le corps est la dernière chose qui résiste. Résistance que l’on retrouve, à des degrés divers, et dans des univers totalement différents, chez les Straub (Sicilia !, un de leurs plus beaux films) et Monteiro et ses fantasmes délirants (Les Noces de Dieu).
Le corps a été malmené cette année au cinéma mais il reste la dernière trace de la singularité de l’individu. Corps haineux et irrémédiablement seul chez Gaspar Noé (Seul contre tous), perdu dans la forêt de ses fantasmes (Sombre de Grandrieux et, dans un autre style, Romance de Breillat).
Mais s’il fallait garder une image de cette année cinématographique, nous pencherions pour celle de ce couple taiseux qui se rapproche timidement en contemplant l’immensité des possibles offerts par l’océan dans A Scene at the sea de Kitano. Une goutte de délicatesse dans le vacarme infernal d’un nouveau monde en train d’advenir.
Et parce que même lorsque tout semble en ruine, il reste la puissance du sentiment amoureux comme le traduit d’ailleurs le « fuck » final d’Eyes wide shut.
1999 ou l’odyssée du couple…
LES CONSEILS DE NOTRE EQUIPE :
Une liste de 244 longs métrages (sur les 551 sortis en salles), avec, pour les étoiles en couleur, des liens vers des textes écrits par les contributeurs.
LES CHOIX DE NOS AMIS ET LECTEURS :
Frédéric :
1- Eyes Wide Shut (Kubrick) 2- Jugatsu (Kitano) 3- Trois ponts sur la rivière (Biette) 4- Le Vent de la nuit (Garrel) 5- New Rose Hotel (Ferrara) 6- Le Vent nous emportera (Kiarostami) 7- Sicilia ! (Straub/Huillet) 8- A Scene at the Sea (Kitano) L'Eté de Kikujiro (Kitano) 10- Adieu, plancher des vaches ! (Iosseliani) Cure (Kurosawa) Un temps pour vivre, un temps pour mourir (Hsiao Hsien)
Un simple amateur :
1-Le Vent nous emportera (Kiarostami) 2- L'Humanité (Dumont) 3- Sombre (Grandrieux) 4- Eyes Wide Shut (Kubrick) 5- La Ligne rouge (Malick) 6- Tout sur ma mère (Almodovar) 7- Ghost Dog (Jarmush) 8- The Hole (Tsai Ming-liang) 9- Un temps pour vivre, un temps pour mourir (Hsiao Hsien) 10- Mon voisin Totoro (Miyazaki)
Pierre :
Top 10 : 1-La ligne rouge (Malick) 2-La nourrice (Bellocchio) 3-Ghost dog (Jarmusch) 4-Center stage (Kwan) 5-Fight club (Fincher) 6-L'été de Kikujiro (Kitano) 7-Pi (Aronofsky) 8-La dernière chevalerie (Woo) 9-Beautiful people (Dizdar) 10-Cure (Kurosawa)
les 40 hors liste restant : Histoires de petites gens (Mambety)*** Under the skin (Adler)*** Je suis né d'une cigogne (Gatlif)*** Mobutu roi du Zaïre (Michel)*** Les passagers (Guiguet)*** Des monstres et des hommes (Balabanov)*** Aller vers le soleil (Ustaoglu)*** Marrakesh express (Salvatores)*** Phoenix Arizona (Eyre)*** Les rêveurs (Tykwer)*** Pourquoi pas moi? (Giusti)*** Prémonitions (Jordan)*** Les mutants (Villaverde)** Voyeur (Elliott)** Yom yom (Gitaï)** Children of the revolution (Duncan)** Le château des singes (Laguionie)** Public housing (Wiseman)** De la part de Stella (Gydroic)** Fait d'hiver (Enrico)** C'est pas mon jour (Woods)** Quatre jours en septembre (Baretto)** Himalaya (Valli)** De l'amour et des restes humains (Arcand)** Hypnose (Koepp)** Des chambres et des couloirs (Troche)** Urban legend (Marks)** 23 (Schmidt)** Lettres à un tueur (Carson) * A mort la mort (Goupil)* Inséparables (Couvelard)* Mystery men (Usher)* Orphans (Mullan)* Le plus beau pays du monde (Bluwal)* Mutation (Stevens)* Les grandes bouches (Bonvoisin)* Escape (Dornhelm)0 Casses en tous genres (Hamburg)0 The naked man (Anderson)0 C'est quoi la vie? (Dupeyron)00
côté inédits 24 longs métrages 1-Les enfants du Borinage : Lettre à Henri Storck (Jean)**** 2-Ley lines (Miike)**** 3-Victim (Lam)**** 4-La terre des âmes errantes (Panh)*** 5-Morts de rire (De la Iglesia)*** 6-Banlieue nord (Albert)*** 7-Taking Manhattan (Wong)*** 8-Shark skin man and peach ip girl (Ishii)*** 9-Hum dill de chucke sanam (Bhansali)** 10-Gen x cops (Chan)** 11-Speedway junky (Perry)** 12-Attack the gas station (Kim Sang-Jin)** 13-Running out of time (To)** 14-Sexe révélations (Anderson)** 15-L'Einstein du sexe (Von Praunheim)** 16-Blood dolls (Band)** 17-Une question de classes (Carré)** 18-Koji, la légende du guerrier démon (Maeda)** 19-Redball (Hewitt)** 20-35 heures c'est déjà trop (Judge)* 21-Nothing (Waplington)* 22-Les bouffons (Schipper)* 23-Splendor (Araki)0 24-Escape from Mars (Fearnley)00
et puis 14 courts 1-Outerspace (Tcherkassky)**** 2-Le vent (Sen)*** 3-Samedi soir dimanche matin (Tamou)*** 4-Maas (Volckman)*** 5-Satisfaction real (Bowda)*** 6-Bonne résistance à la douleur (Guillaume)*** 7-Travellynckx (Lanners)*** 8-Salam (El Bouhati)*** 9-Samedi dimanche et aussi lundi (Valette)** 10-Seasons greetings (Mulloy)** 11-Harry's war (Franklan)** 12-Toilet mouth (Crisp)** 13-Welcome to Spain (Atanes)** 14-Un bon flic (Marchal)*
et last but... 12 moyens métrages 1-Diego (Goldbronn)**** 2-Lettre à mon frère Guy Gilles cinéaste trop tôt disparu (Gilles)*** 3-50 ans de maquis (Billon et Alejandro)*** 4-Norman Mailer, histoires d'Amérique (Copans et Neumann)*** 5-Citizen cam (Scemia)*** 6-Adolescents (Minetto)*** 7-Beau comme un camion (Cordier)*** 8-Greyhound aller simple (Borgers et Lévy Lunt)*** 9-Java central Jog Jakarta (Compain)** 10- Baby (Xim Phil Sung)** 11-Slaves in paradise (Benjamin)** 12-Un pas dans la nuit (Laborie)**
**** :
*** : Jin-Roh, la brigade des loups (8) ; Eyes Wide Shut (7) ;
** : The Big One (6) ; Un temps pour vivre, un temps pour mourir (6) ; L’Anglais (6) ; La Maladie de Sachs (6) ; Le vent nous emportera (6) ; Celibrity (6) ; Ma petite entreprise (6) ; Fiona (6) ; Ghost Dog (6) ; Tout sur ma mère (6) ; Rosetta (6) ; Fight Club (5) ; Sex Intentions (5) ; HHH (5) ; Juha (5) ; South Park, le film (5) ; Rien sur Robert (5) ; Perfect Blue (5) ; The Hi-lo Country (5) ; La Ligne rouge (5) ; Vénus Beauté Institut (5) ; Au cœur du mensonge (5) ; Fin août début septembre (5)
* : American Pie (4) ; Une liaison pornographique (4) ; La Dilettante (4) ; La Fille sur le pont (4) ; The Hole (4) ; L’Humanité (4) ; Loin du paradis (3) ; Dans la peau de John Malkovich (3) ; Mauvaise passe (3) ; Star Wars épisode 1 : la Menace fantôme
o : Astérix et Obélix contre César (2) ; Austin Powers – l’Espion qui m’a tirée (2)
- (vus, mais plus assez de souvenirs pour noter ; sont par définition absents ceux que j’ai vus, mais qui m’ont laissé tellement peu de souvenirs que je ne m’en rappelle même plus !) : La Nouvelle Eve ; Pas de scandale
LE SONDAGE TWITTER DU DR. ORLOF :
Quel est le meilleur film sorti en 1999 ? (86 votants)
1- Eyes Wide Shut (Kubrick) (25 voix)
2- La Ligne Rouge (Malick), Mon voisin Totoro (Miyazaki) (8 voix)
4- Ghost Dog (Jarmusch) (7 voix)
5- Tout sur ma mère (Almodovar) (4 voix)
6- ExistenZ (Cronenberg), Fight Club (Fincher) (3 voix)
puis avec 2 voix : Le Temps retrouvé (Ruiz), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (HHH), Rosetta (Dardenne), Le 13ème guerrier (McTiernan), Le Vent de la nuit (Garrel), L'humanité (Dumont), Matrix (Wachowski)
Cités une fois : Perfect Blue (Kon), Khroustaliov ma voiture (Guerman), Juha (Kaurismaki), Le Vent nous emportera (Kiarostami), La Momie (Summers), Le Nuage (Solanas), Une liaison pornographique (Fonteyne), Le Barbier de Sibérie (Mikhalkov), L'été de Kikujiro (Kitano), Jin-Roh (Okiura), Pola X (Carax), Gummo (Korine), After life (Kore-Eda), Buffalo 66 (Gallo)
LE BOX-OFFICE :
1. Astérix et Obélix contre César, Claude Zidi, 8 948 624 entrées
2. Tarzan, Chris Buck et Kevin Lima, 7 914 863 entrées
3. Star Wars, épisode 1 : La Menace fantôme, George Lucas, 7 303 131 entrées
4. Matrix, Andy & Larry Wachowski, 4 771 685 entrées
5. Coup de foudre à Notting Hill, Roger Michell, 4 532 898 entrées
LES PRIX ET RECOMPENSES :
- Prix Louis-Delluc : Adieu, plancher des vaches ! (Otar Iosseliani)
- Prix Méliès : La Maladie de Sachs (Michel Deville)
- Prix Jean Vigo : La Vie ne me fait pas peur (Noémie Lvovsky)
- César du meilleur film : Vénus Beauté (Institut) (Tonie Marshall)
- Oscar du meilleur film : Shakespeare in love (John Madden)
- Festival de Venise, Lion d'or : Pas un de moins (Zhang Yimou)
- Festival de Cannes, Palme d'or : Rosetta (Luc & Jean-Pierre Dardenne)
- Festival de Berlin, Ours d'or : La Ligne rouge (Terrence Malick)
- Festival de Locarno, Léopard d'or : Peau d'homme cœur de bête (Hélène Angel)
- Festival de Saint-Sébastien, Coquille d'or : C'est quoi la vie ? (François Dupeyron)
A VOUS LA PAROLE !
A notre suite, nous vous invitons à dresser votre propre palmarès de l'année et à nous le faire parvenir, par l'intermédiaire des commentaires ou du bouton de contact, afin que nous le mentionnions à son tour ci-dessus.
(vous pouvez consulter la liste de tous les films sortis en France en 1999 sur le site Encyclo-Ciné)
| Tags : 1999, kubrick, miyazaki, almodovar, jarmusch, tsai, garrel, cronenberg, dumont, kitano, malick | Lien permanent | Commentaires (7) | Imprimer | Facebook | | |